Hommage au Professeur Michel Vervoort
Notre collègue, mentor et ami Michel Vervoort nous a quittés le 8 décembre 2022 à l’âge de 52 ans. Sa disparition laisse un immense vide auprès de tous ses collègues et amis à l’Institut Jacques Monod, mais aussi au sein de sa communauté scientifique et pédagogique.
Durant toute sa vie scientifique Michel a été animé par un double intérêt : l’identité cellulaire, que ce soit au cours du développement ou au cours des processus de régénération, et l’évolution des organismes vivants.
Michel a débuté sa carrière scientifique comme doctorant sous la direction du Dr. Christine Dambly-Chaudière à l’Université Libre de Bruxelles, où il s’est intéressé aux programmes génétiques contrôlant la détermination neuronale chez la Drosophile. Il a obtenu son Doctorat en 1996, à l’âge de 26 ans.
Michel a ensuite effectué son post-doctorat dans l’équipe du Dr. Alain Vincent au Centre de Biologie du Développement à Toulouse (1997-1998). Il y a effectué la découverte majeure que l’activation dose-dépendante d’un facteur de transcription en réponse à la signalisation Hedgehog déterminait la forme de l’aile de drosophile. Il a alors formalisé sa vision de l’action morphogène de Hedgehog, conceptualisant une question biologique à la pointe des connaissances.
Dans la foulée, Michel est nommé Maître de Conférences à l’Université Paris 11 d’Orsay et intègre l’équipe du Professeur André Adoutte au Centre de Génétique Moléculaire à Gif-sur-Yvette. Michel s’est alors intéressé à l’évolution de familles de gènes impliqués dans le développement des métazoaires, révélant ainsi l’ancienneté des « logiques transcriptionnelles » qui régulent le développement précoce des organismes multicellulaires. Il a ainsi tiré parti des données issues du séquençage des génomes pour développer des approches phylogénomiques qu’il poursuivra tout au long de sa carrière. Ces travaux ont contribué à une meilleure compréhension de l’évolution de ces gènes et des processus développementaux qu’ils contrôlent, notamment au cours de la neurogénèse. Durant cette période, il a également entamé des études de Génétique Évolutive du Développement (Evo-Devo) en s’intéressant à des d’organismes modèles émergents (tels que le gastéropode Patella vulgata et l’annélide Platynereis dumerilii). La position phylogénétique de ces organismes lui a permis de réaliser des études comparatives à l’échelle des organismes bilatériens, et de contribuer ainsi à la reconstitution du « portrait-robot » de leur dernier ancêtre commun. Son intérêt pour les organismes modèles émergents dans le but de poser de nouvelles questions de biologie du développement dans le contexte de l’évolution ne l’a plus quitté et il a participé à de nombreuses études, notamment génomiques, sur d’autres espèces atypiques (Tribolium castaneum, Amphimedon queenslandica, Capsaspora owczarzaki, etc.).
En 2003, à seulement 33 ans, Michel est nommé Professeur de l’Université Paris VII – Denis Diderot (aujourd’hui Université Paris Cité). En 2009, il a rejoint l’Institut Jacques Monod en tant que chef d’une équipe codirigée avec Guillaume Balavoine. En 2010, il a obtenu une prestigieuse chaire de l’Institut Universitaire de France en tant que membre junior. Cela a constitué un point de départ à partir duquel Michel va explorer de nouvelles voies et de nouvelles façons d’envisager sa discipline, en mettant l’accent sur l’évolution des mécanismes impliqués dans les processus développementaux. Il s’est alors passionné pour la thématique des cellules souches et de la régénération. Avec Eve Gazave, ils ont bâti un nouvel axe de recherche qu’ils développeront à l’Institut Jacques Monod au sein de l’équipe de recherche intitulée “Cellules souches, Développement et Évolution”. Ces travaux ont conduit à une caractérisation cellulaire et moléculaire des processus impliqués dans la régénération et ont mis en lumière des relations évolutives inattendues entre cellules germinales primordiales et cellules somatiques adultes. En l’espace de six ans, l’équipe, très attractive, a intégré successivement quatre post-docs, de nombreux étudiantes et étudiants de Licence, BTS et Master et accueille aujourd’hui quatre doctorantes et doctorants. Tous ses anciens doctorants et doctorantes et post-docs s’accordent à considérer Michel comme un véritable mentor ayant forgé leur conception des sciences de l’évolution. Ce sentiment est partagé par de nombreux autres jeunes scientifiques l’ayant sollicité pour rejoindre leurs jurys ou comités de thèse. Michel et son équipe se sont également impliqués dans nombreuses collaborations, en France et à l’étranger. De façon remarquable, et attestant de sa grande culture, Michel s’est aussi intéressé à la philosophie de la biologie par des collaborations, notamment avec Thomas Pradeu et Lucie Laplane.
En parallèle, Michel a toujours été très actif dans l’enseignement. Il est un membre clef des équipes pédagogiques du Magistère de Génétique et de Biologie Animale de l’UFR Sciences du Vivant. Il a aussi contribué à attirer vers la biologie les jeunes physiciens du Parcours d’Interface Physique-Biologie. Ses étudiantes et étudiants sont très nombreux à lui témoigner leur admiration, notamment du fait de la clarté de ses enseignements et de sa disponibilité sans faille. Il démocratisera également son enseignement à travers sa contribution à un ouvrage sur l’évolution moléculaire et à deux manuels universitaires sur l’embryologie, tous parus aux éditions Dunod.
Enfin, Michel s’est fortement impliqué dans les aspects administratifs de la recherche et de l’enseignement (conseil scientifique de l’European Society for Evolutionary Developmental Biology, Comité National du CNRS, ITMO Biologie cellulaire, Développement, Évolution, labex “Who Am I ?”, conseils scientifique et d’administration de l’UFR Sciences du Vivant, AERES). Il a participé à plusieurs comités de recrutement de nouveaux professeurs et maîtres de conférences dans diverses universités.
En 2011, Michel est atteint d’un lymphome. Son admirable courage et ses qualités humaines lui permettent, malgré tous les obstacles, de traverser ses multiples traitements avec un optimisme communicatif et de toujours rester disponible auprès de ses collègues en recherche et en enseignement.
Tous ceux qui ont eu le privilège de travailler ou de croiser Michel louent sa culture scientifique, son ouverture d’esprit et son exigence morale et scientifique, alliées à sa modestie, son extrême gentillesse et sa bienveillance. Il nous laisse en héritage sa passion et sa vision transdisciplinaire de la biologie et de l’évolution que ses collègues s’efforceront de renforcer et transmettre.